Le Yoga aborde de mille façons les énergies et les formes de la nature. Le vent, les vagues, les marées, les gouttes d’eau ont des rythmes, le corps a ses rythmes. Nous connaissons bien le rythme du cœur et du souffle, assez bien ceux de notre ventre ou des intestins, moins bien les rythmes des yeux, des oreilles, du cerveau ou des capillaires.
Un doigt posé sur un support, à quel moment la perception des pulsations cardiaques et du souffle seront là, entre le doigt et le support ? Le premier rythme perceptible est lent, lent et subjectif, c’est le contact avec la planète. Ce que l’on nomme communément pesanteur, le Yoga va le nommer densité, puis énergies. Energies au pluriel, ces énergies sont multiples.
Allongé, assis ou debout, quelle est la nature du contact avec le support, avec le plancher, le tapis, la chaise ou le lit ? Le support exerce une pression ou une caresse ? Assis sur le sol ou dans un fauteuil, la pression commence au dessus de la tête, comme dans la pièce autour, entre le plafond et le sol. Posons l’attention au dessus de la tête, puis sur la tête, puis dans la tête, en observant les pressions, les densités. Ensuite, la même attention aux sens va sur l’épaule gauche, la densité de l’épaule, dedans, autour, son rythme de tensions, de préhension et de défense.
Le Yoga ne cherche pas à relaxer, l’épaule est tour à tour un amortisseur, un bouclier, un aspirateur ou un palan, le Yoga amène le rythme approprié, nécessaire au présent. Après l’épaule on va visiter le coude, puis le poignet, chaque phalange, les espaces entre les doigts. Les doigts sont tour à tour préhension puis donateurs, combatifs ou caressants. Quelle est la nature du support, le rythme du bois, du plancher ou du tapis ? La terre en dessous respire, sensible au marrées, aux lunes. Ces données ne sortent pas des livres de géographie, elles sont là dans le présent de ce doigt qui respire. Le souffle est d’abord autour de la terre avant d’être au bout du nez ou sous une paupière.
Ces exercices sont tactiles et non intellectuels, parfois ils sont à peine intelligibles tellement le corps est submergé de défenses ou d’anticipations. C’est parfois une semaine après l’exercice que le corps se souviendra et réalisera ce qui s’est passé.
La tradition veut que l’on commence par le coté gauche avant de faire le coté droit. Dans les Upanishads, les points cardinaux sont essentiels. Les premiers exercices du matin se font face au soleil levant, face à l’Est, le Nord est à gauche, le Sud à droite. Les rythmes du lever du soleil d’avant en arrière, le rythme de la profondeur de la nuit de derrière vers devant. Le Yoga est un rituel pour dépasser les rituels, le soleil brille autant en pleine nuit que sous les nuages. Les énergies de la vie sont toujours présentes autant que différentes et précédent les savoirs.
Après l’orientation du corps et de ses organes de perception, la plus grande réalité se trouve dans la verticale et l’horizontale. Le Yoga s’occupe de ces flux, le corps est fait de lignes verticales, d’équilibres horizontaux et de nombreuses diagonales. Entre les épaules et les hanches par exemple, il y a autant à faire entre les épaules, qu’entre les hanches, entre l’épaule et la hanche du même coté, entre l’épaule et la hanche du coté opposé. Ceux qui connaissent la Tour Eiffel peuvent se représenter cette structure faite de lignes horizontales et diagonales, d’étages qui se succèdent et s’élèvent, le corps a une structure équivalente, avec, en plus, la mobilité, avec, en plus, deux jambes au lieu de quatre. Il y a autant d’étages dans le corps, entre chaque vertèbre, entre chaque articulation. Il s’agit bien des forces et des rythmes qui font tenir assis ou debout, ou sur la tête, ou marcher ou danser…
Jean Klein faisait faire des exercices avec les mains, plus précisément, avec les doigts, il était violoniste, une part de son inspiration puise dans l’apprentissage des instruments de musique, une part puise dans les principes du Yoga. Dans la physiologie du Yoga, les organes profonds sont en relation avec les extrémités du corps, et l’inverse, les mains, les pieds, les doigts et les orteils sont à la fois des antennes et des racines, des capteurs de l’Univers.
Ces exercices des doigts consistent à fermer phalange après phalange, lentement puis rapidement, en étant attentif à ce que la tension soit dans les doigts et nulle part ailleurs. L’exercice concerne aussi les pouces, les poignets, les épaules ou les cervicales qui doivent être totalement relâchés. Pour agrémenter et compléter, les bras vont s’allonger devant, les mains continuer à s’ouvrir et à se fermer, en alternant droite et gauche. Les bras, ensuite, glissent sur les cotés, puis vers le haut, les directions sont très claires. Le mouvement est d’abord symétrique puis asymétrique, de devant, un bras monte, l’autre va sur le coté, les deux se rejoignent devant, et inversent… il s’agit d’occuper tout l’espace, et l’inverse de rencontrer l’espace.
Dans une variation de cet exercice, les mains peuvent revenir vers la poitrine et envisager de masser, à distance, le cœur, en respectant son rythme, descendre devant le nombril, masser à distance les intestins, le foie ou les reins en respectant leurs rythmes. Les mains peuvent aller sur les cotés, puis une devant, une derrière, en respectant la détente. Il ne s’agit pas de toucher un corps physique, c’est la rencontre avec un corps fait d’énergies et de rythmes. Les mains au dessus des épaules peuvent envisager l’ensemble du corps, dessous. Les mains ensuite envisagent le cou, toutes ses structures et ses rythmes. Les mains s’orientent ensuite vers les dessus, se remplissent de l’espace dessus qui est aussi l’espace de la tête, les mains n’ont plus à bouger, c’est l’espace qui bouge.